L'Agence, partie prenante d'un urbanisme favorable à la santé

Depuis les années 2000, l’Agence s’investit pour intégrer la question de la santé et de la prévention dans les documents de planification. Dans le contexte de pandémie et de changement climatique, elle est impliquée plus que jamais aux côtés des acteurs locaux pour partager connaissance et enjeux, et proposer aux élus une offre de services étendue en matière d’urbanisme favorable à la santé.

Interviews de Lucie Anzivino, Chargée d’études Santé Environnementale et Évaluation d’impacts à l’ORS Auvergne-Rhône-Alpes et de Murielle Pezet-Kuhn, Responsable Transitions environnementales et Mobilités, Directrice d’études Territoires / Environnement à l'Agence.

Pourquoi faut-il (re)construire le dialogue entre urbanisme et santé ?

L’agencement et la densité humaine de la ville favorisent la propagation des virus. Au milieu du XIXe siècle, l’urbanisme hygiéniste a vu le jour pour faire face à certaines infections mais aussi, en réaction aux pollutions et nuisances générées par la révolution industrielle. Les densités très fortes des premières grandes villes ont favorisé la propagation de maladies comme la diphtérie, la tuberculose, le botulisme ou le saturnisme. Les visées du plan haussmannien de modernisation de Paris et plus tard, des cités-jardins, étaient à la fois sanitaires et sociales : il s’agissait de favoriser la circulation de l’air, d’organiser la gestion des déchets ou en-core, d’améliorer les conditions de logement des classes populaires, la circulation et la présence d’espaces verts. Il existait déjà à cette époque une conception assez transversale. L’OMS, en 1946, l’affirmait : “ La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ”. Cette définition montre bien l’acception large de la notion de santé publique. Aujourd’hui notre état santé dépend, pour 20 %, de facteurs génétiques et biologiques, pour 20 % de la qualité de l’offre de soins et pour 60 % de déterminants socioéconomiques. Les conditions socio-économiques et environnementales sont par conséquent centrales. L’urbanisme jour un rôle d’intégrateur et de prévention qui doit créer les conditions favorables à la santé et au bien-être des populations.

Cette question est donc au centre des enjeux de renouvellement urbain ?

Depuis les années 2000, le concept d’un urbanisme favorable à la santé est reconnu. Les choix d’urbanisme et d’aménagement permettent d’agir sur trois grands déterminants de santé : le cadre de vie, le mode de vie et le milieu de vie. Les impacts sur la santé humaine vont s’accentuer avec le changement climatique et l’aggravation des phénomènes extrêmes. Le renouvellement urbain impose l’intégration de multiples enjeux. Une démarche pluridisciplinaire est nécessaire pour fédérer les acteurs autour d’un projet commun auquel chacun peut apporter sa pierre. La crise sanitaire montre la nécessité de se mobiliser très largement, au-delà des personnels soignants. Il n’existe pas de solutions toutes faites : les impacts diffèrent selon le contexte, les besoins des habitants, les projets de la collectivité...

Quelle traduction concrète dans les territoires ?

Depuis 2017, l’Agence est impliquée dans la mise en œuvre du Plan régional santé environnement (PRSE3), avec les trois autres agences de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Nous avons par exemple participé à l’EIS (Évaluation des impacts sur la santé) du Programme local de l’habitat de Saint-Marcellin Vercors Isère Communauté. Cette étude (définie par l’OMS), visait à la fois l’amélioration de l’état de santé général des populations et la lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé par le cadre de vie. Une EIS aide à anticiper les impacts positifs et négatifs des composantes du projet urbain sur les populations pour les renforcer ou les réduire. Elle incite les différents partenaires du projet à collaborer et encourage la participation citoyenne.Sur ce territoire, l’Agence a complété le portrait sanitaire de l’Observatoire régional de santé (ORS) en réalisant un focus sociodémographique sur des publics-cibles, un diagnostic santé-environnement, un focus sur la vulnérabilité énergétique... Bref, des éléments de connaissance et de contextualisation indispensables pour co-produire avec l’ORS des recommandations concrètes.Une autre expérience est celle de l’EIS de Le Pont-de-Claix, menée dans le cadre du projet de re-nouvellement urbain et d’amélioration du cadre de vie en cours dans le quartier des Îles de Mars-Olympiades, avec tous les acteurs du projet : services de l’urbanisme, de la petite enfance, des sports, de la vie associative, CCAS, État, bureaux d’études et bailleurs sociaux. Partant des constats partagés, les recommandations spécifiques ont porté sur le cadre et les conditions de vie mais aussi, sur le renforcement de l’inclusion sociale.Ces deux exemples s’inscrivent dans la continuité d’une démarche ancienne, soutenue par l’Agence, d’intégration des impératifs de bien-être et de santé dans les documents de planification depuis le début des années 2000, traduite dans les PLU, le SCoT, le PDU ou plus récemment, les PLUi et le Plan climat de Grenoble-Alpes Métropole. Ils montrent bien, par ailleurs sa capacité d’animation et de mobilisation d’acteurs multiples.

Le regard de...

Lucie Anzivino, Chargée d’études Santé Environnementale et Évaluation d’impacts à l’ORS Auvergne-Rhône-Alpes

Quels sont les apports du partenariat avec le réseau des agences de la région ?

Ce partenariat a permis d’articuler la connaissance des agences qui travaillent de longue date avec les territoires au niveau des projets d’aménagement ou de planification urbaine et l’apport scientifique de l’ORS, également ancré dans le territoire régional mais sous d’autres angles et avec une moindre finesse en matière d’urbanisme. De fait, le partenariat a permis une sensibilisation plus forte des acteurs aux questions autour de la santé dans une vision globale et pas seule-ment par l’offre de soins. C’est ce qui a été important. On a montré que l’état de santé physique et mental des administrés dépendait d’un certain nombre de déterminants de la santé, comme la mobilité, qui sont déjà pris en compte dans les documents de planification. Cela montre qu’il n’est pas indispensable d’être un professionnel de la santé pour travailler à améliorer la santé des habitants. Ce partenariat a aussi permis une meilleure appropriation des documents d’urbanisme qui ne sont pas dans notre quotidien.

Quel bilan en 2019 ?

Nous avons travaillé dans le cadre du PRSE avec les territoires qui ont accepté cette expérimentation, sur Saint-Marcellin Vercors Isère Communauté dans un premier temps et sur l’opération de revitalisation de territoire à La Mure qui est en cours. Ce travail s’est déroulé dans un cadre d’échanges professionnels agréables avec les élus et les chargés de mission de l’Agence. Un lien s’est créé, une nouvelle manière de travailler. On aimerait maintenant développer d’autres opportunités de collaboration.

Comment la crise sanitaire va-t-elle faire évoluer la prise en compte de la santé dans les projets en lien avec l’urbanisme ?

Dans beaucoup de collectivités, surtout les grandes qui ont cette connaissance et qui disposent de l’ingénierie, la volonté de développer un urbanisme favorable à la santé existe. Le développement des mobilités douces et de la nature en ville le montre. La crise va certainement accélérer la volonté d’agir autour de ces domaines et d’élargir à d’autres thématiques. On a vu que les personnes qui en avaient les moyens ou la possibilité sont parties à la campagne : cela a ravivé la problématique d‘une offre de soins lacunaire dans certains territoires et les attentes en matière de cadre de vie. L’urbanisme favorable à la santé se conçoit dans la prise en compte de plusieurs déterminants que nous devons mettre en relation plutôt que de les traiter de façon individuelle. J’espère que la crise aura permis cette prise de conscience. C’est vraiment ce que l’on essaie de promouvoir dans le cadre des travaux menés avec les agences.

Juin 2020